14 avril 2020

Parenthèse

C'est paradoxal, probablement politiquement incorrect, mais... ça va bien. Ça va de mieux en mieux, en fait. C'est embarrassant, presque culpabilisant, mais C'EST. Après la sidération des deux premières semaines, le sentiment de ne pas pouvoir décrocher de l'écoute téléphonique, les deux suivantes, il y a cette conscience croissante, individuelle mais aussi collective, d'un temps d'exception non pas uniquement dans la tragédie présente ou les catastrophes à venir, mais aussi possiblement fécond.

Mon amie Céline, CCF, nous parle de ce point de rencontre surprenant entre coronavirus et grossesse non désirée : l'irruption dans le quotidien de cet inattendu si difficile à réaliser, mais qui force à s'arrêter, et oblige à penser. Arrêt sur image. J'en suis où dans ma vie ? Et éventuellement, à côté de quoi suis-je passé.e ? A quoi vais-je devoir renoncer si je veux me retrouver ? Quel chemin choisir après tout ça ? 

Ce matin j'ai moi aussi écouté une femme longuement naviguer entre les question liées à la mort de son père et à son désir d'enfant. Elle qui s'était jusque-là bâti une vie à l'abri de toute incertitude et de tout questionnement, de toute rencontre avec elle-même comme avec l'autre, se trouve soudain elle aussi confrontée à la question de sa croissance en tant qu'être (qui ne va pas sans douleur), de l''existence de l'âme, de la nécessité du sens... Ses questions ne sont pas nées de l'épidémie ; et pourtant elles rejoignent un choeur qui me semble aller croissant, comme une grande interrogation existentielle, voire spirituelle, qui se répand comme une traînée de poudre, et me touche d'autant plus que je me sens comme entraînée dans ce mouvement (qui pour moi aussi, préexiste à la crise actuelle).

Je suis de plus en plus contemplative. Au ras des pâquerettes et le regard tourné vers ce qui en nous est plus grand que nous (et qu'on aperçoit très bien lorsqu'on a le nez dans l'herbe). Non, je ne l'ai pas fumée (l'herbe). Oui, je suis toujours bouleversée par ce qui se joue actuellement. 

Mais je suis aussi sensible à cette période de suspension, à ce qu'elle génère d'interactions nouvelles, avec ceux qui sont là auprès de moi comme avec ceux dont je n'entends plus que la voix, mais dans une parole possiblement différente, possiblement plus pleine. 

A l'absence de désir de consommation. A l'abandon des masques, au renoncement à l'agitation, à ce que Bobin appelle l'imaginaire du plein. Au questionnement de mon, de nos modes de vie. A mon émerveillement devant les mondes qui se déploient dans notre minuscule jardin - floraison du lilas, du muguet, du jasmin... et de ces humbles pâquerettes dont j'aime la modestie et la ténacité. Je ne suis pas loin de retrouver dans cette période la même plénitude qu'en bateau, le même retour à l'essentiel. 

Le même retour aussi à une certaine humilité, la même nécessité de faire confiance. Le lien en plus, ou vécu, ressenti différemment, peut-être.

La possibilité d'une présence en silence, ressentir l'être de l'autre - c'est peut-être la seule chose qui me manque.