Régulièrement, dans mon travail auprès des étudiants, il y a des rencontres. Une accroche, une alliance, une émotion qui feront peut-être que ces quelques entretiens, puisque l'idée n'est pas de se substituer à un suivi, laisseront une trace, sèmeront une petite graine sur leur chemin.
Bien sûr, je fais au mieux pour que tous se sentent accueillis, entendus, et ça fonctionne globalement plus ou moins. Mais force est de constater qu'il y a parfois des rencontres inspirées, quelque chose de l'être à être qui ne se décide ni ne se prévoit. Ce soir il y avait ce jeune homme dans un cursus scientifique top niveau, mais aussi, et peut-être d'abord musicien et poète, avec lequel l'échange est si étonnamment fluide et joyeux, malgré son désespoir et sa lucidité ravageuse, ou plutôt sans doute grâce à eux - il y a là quelque chose que je reconnais, qui ne m'effraie pas, et que je peux par conséquent accueillir.
Un amoureux des mots avec lequel dès le premier entretien il a été question de La Tordue et des Têtes Raides (j'avais presque oublié la subtilité de l'écriture des premiers, redécouverte grâce à lui), du Mal de vivre de Barbara (nous avions gentiment bataillé sur le vers qu'il avait cité spontanément : La solitude ou Le mal de vivre ? - c'est lui qui avait raison), de cette citation de Karen Blixen que j'affectionne tout particulièrement sur l'eau salée qui guérit de tout parce qu'il partait naviguer pour la première fois, des Oiseaux de passage suite à la lecture du poème qu'il venait de composer - un texte remarquablement abouti dans le fond comme dans la forme. Un long et dense poème en vers qui s'achevait par, je mourrai vivant - phrase qui prend une résonance bouleversante lorsque l'on connaît son histoire.
Peut-être suis-je aussi d'autant plus touchée qu'une part de sa difficulté à vivre provient du fossé créé par l'incommunicabilité de son expérience de vie à des jeunes gens de son âge, lui qui a été confronté si intimement à la question de la maladie et de la mort dès ses premières années. Et qu'ici, dans ce lieu de passage, quelque chose peut en être dit. Même si, comme je l'ai lu quelques jours plus tard à propos d'un tout autre contexte "Ceux qui ont vécu (...) n'ont besoin d'aucune explication ; quant aux autres, ils ne peuvent ni comprendre ce que les survivants ont éprouvé alors, ni ce qu'ils éprouvent aujourd'hui."
Peut-être suis-je aussi d'autant plus touchée qu'une part de sa difficulté à vivre provient du fossé créé par l'incommunicabilité de son expérience de vie à des jeunes gens de son âge, lui qui a été confronté si intimement à la question de la maladie et de la mort dès ses premières années. Et qu'ici, dans ce lieu de passage, quelque chose peut en être dit. Même si, comme je l'ai lu quelques jours plus tard à propos d'un tout autre contexte "Ceux qui ont vécu (...) n'ont besoin d'aucune explication ; quant aux autres, ils ne peuvent ni comprendre ce que les survivants ont éprouvé alors, ni ce qu'ils éprouvent aujourd'hui."
(NB : c'est probablement vrai de tous les survivants, quel que soit l'événement auquel ils ont survécu)
Je ne prétends pas comprendre en effet. Mais je peux être là, écouter pleinement et tranquillement. Etre dans cette "observation non intervenante d'un soignant non angoissé", comme l'écrit Winnicott - quelque chose d'une bienveillance implicite. Rire ou tout au moins sourire avec lui, un rire qui ne doit rien au cynisme mais plutôt à une reconnaissance commune de la précarité de nos existences.