02 novembre 2025

Ecrire...

Ecrire. Ecrire pour obéir au besoin que j’en ai.

Ecrire pour apprendre à écrire. Apprendre à parler.

Ecrire pour ne plus avoir peur.

Ecrire pour ne pas vivre dans l’ignorance.

Ecrire pour panser mes blessures. Ne pas rester prisonnier de ce qui a fracturé mon enfance.

Ecrire pour me parcourir, me découvrir. Me révéler à moi-même.

Ecrire pour déraciner la haine de soi. Apprendre à m’aimer.

Ecrire pour surmonter mes inhibitions, me dégager de mes entraves.

Ecrire pour déterrer ma voix.

Ecrire pour me clarifier, me mettre en ordre, m’unifier.

Ecrire pour épurer mon œil de ce qui conditionnait sa vision.

Ecrire pour conquérir ce qui m’a été donné.

Ecrire pour susciter cette mutation qui me fait naître une seconde fois.

Ecrire pour devenir toujours plus conscient de ce que je suis, de ce que je vis.

Ecrire pour tenter de voir plus loin que mon regard ne porte.

Ecrire pour m’employer à devenir meilleur que je ne suis.

Ecrire pour faire droit à l’instance morale qui m’habite.

Ecrire pour retrouver – par delà la lucidité conquise – une naïveté, une spontanéité, une transparence.

Ecrire pour affiner et aiguiser mes perceptions.

Ecrire pour savourer ce qui m’est offert. Pour tirer le suc de ce que je vis.

Ecrire pour agrandir mon espace intérieur. M’y mouvoir avec toujours plus de liberté.

Ecrire pour produire la lumière dont j’ai besoin.

Ecrire pour m’inventer, me créer, me faire exister.

Ecrire pour soustraire des instants de vie à l’érosion du temps.

Ecrire pour devenir plus fluide. Pour apprendre à mourir au terme de chaque instant. Pour faire que la mort devienne une compagne de chaque jour.

Ecrire pour donner sens à ma vie. Pour éviter qu’elle ne demeure comme une terre en friche.

Ecrire pour affirmer certaines valeurs face aux égarements d’une société malade.

Ecrire pour être moins seul. Pour parler à mon semblable. Pour chercher les mots susceptibles de le rejoindre en sa part la plus intime. Des mots qui auront peut-être la chance de le révéler à lui-même. De l’aider à se connaître et à cheminer.

Ecrire pour mieux vivre. Mieux participer à la vie. Apprendre à mieux aimer.

Ecrire pour que me soient donnés ces instants de félicité où le temps se fracture, et où, enfoui dans la source, j’accède à l’intemporel, l’impérissable, le sans-limite.'

[Charles Juliet ; extrait de « Ecrire », dans Il fait un temps de poème, anthologie d’Yvon Le Men, Filigranes éditions

Ecrire mais quoi ?

Écrire parce que ça fait longtemps, écrire parce que j'ai l'impression de danser au-dessus du vide, et que je n'écris plus, ne pense plus. L'impression de laisser les algorithmes me manger le cerveau, même ceux supposés avoir une plus-value culturelle (et ne parlons pas des autres), de laisser « l'imaginaire du plein », comme l'écrivait Bobin, me faire disparaître petit à petit.

De rebondir comme une balle de ping-pong entre mon impuissance à grande et à petite échelle – ce monde affolant, l'avenir de mes deux enfants et en particulier celui d'Elsa, sa souffrance que nous ne nommons ensemble que rarement – à quoi bon aller se taper la tête contre les murs – et l'épuisement professionnel, vaguement culpabilisant – plus le temps ni l'argent pour me former, et prendre du recul ou mieux, de la hauteur. 

De me relever et d'y aller quand même, collectionner des moments, des sourires, des caresses, de la beauté, et puis replonger en apnée, suffoquer jusqu'aux quelques prochains jours de répit, de nature ou de mer, et puis essayer de n'oublier personne et n'en faire pourtant jamais assez. Si l'avenir est si incertain, que faire d'autre que d'enfiler quelques brefs instants étoilés à chaque fois que c'est possible ? 

Et en même temps, je ne suis pas dupe. Ça ne suffit pas. Ça ne peut pas suffire. Il faudrait ralentir la course. Prendre du recul. Et des décisions raisonnables. Prévoir. Organiser. Définir des objectifs. Pas l'énergie, ni l'envie de renoncer à la poésie intermittente, ni suffisamment la conviction que nous ayons tant que ça la maîtrise de quoi que ce soit, dans ce monde.

Je fais comme si, et contourne sans cesse l'éléphant dans la pièce qu'est le handicap d'Elsa – le bug dans la matrice, le truc qui fait dérailler l'ordre des choses, les enfants grandissent, et s'en vont essayer de faire un petit mieux que nous, a minima finissent par trouver les moyens du chemin qui sera le leur. Et là... on ne sait pas, avec une gamine bien trop maligne pour ne pas s'en rendre compte, ce qui est un crève-cœur de tous les instants – pour toutes les deux. Il n'y a rien de normal dans notre quotidien... mais je suis la gardienne de la flamme, du « on trouvera des solutions » - alors on fait comme si, et on invente des moments comme autant de cailloux de Petit Poucet, un concert, un voyage, un achat futile, des retrouvailles amicales – et on laisse aussi dans l'ombre les angoisses matérielles – l’argent, la santé, aujourd'hui ça tient à peu près, demain sera un autre jour.

Je me console – par rapport à tant d'autres dans ce monde, je reste tellement privilégiée. Assez d'argent pour le nécessaire et même pour un tout petit peu de superflu (mais sans filet), l'accès à la culture qui me sauve de tant de choses, des cercles multiples, la tendresse précaire de Samir – mon fragile point d'équilibre. Je me console, parce qu'il n'est pas d'humains dans ce monde qui n'aient l'expérience du deuil, de la maladie, du handicap, et que c'est juste la vie quoi, le bordel, comme le chantait Higelin.

Je me console – quand la solitude me pèse, et que j'aimerais un homme à mes côtés, ou qu'un père ou un beau-père manquent tellement pour mes enfants, et me rappelle que vivre à deux n'est pas l'assurance de ne pas se sentir seul, et que j'ai choisi de ne pas rester dans des faux-semblants précaires. Je me console, en devinant que le couple n'est pas la réponse à tout, et que je suis aimée de multiples façons, amoureuses ou amicales, dont aucune ne repose sur un devoir ou un contrat, et que c'est un privilège.

Je me console, quand un rayon de soleil vient illuminer mon petit chez-moi ce dimanche matin, que le thé brûlant sent bon et que les chats dorment tranquillement près de moi.

27 octobre 2025

Lu et approuvé

"En matière de psychiatrie, évidemment qu'il faut agir conformément aux données de la science (...) et en même temps le coeur de l'exercice a trait au récit d'une personne, et rien n'éduque mieux à la compréhension et à la perception d'un récit que la littérature, donc pour moi, un psychiatre c'est à la fois un scientifique ET un littéraire, ou plus exactement c'est quelqu'un qui ne maîtrise ni l'un ni l'autre parfaitement mais qui s'efforce de tenir l'un et l'autre, un peu comme il faudrait tenir un grand écart."

Raphaël Gaillard, interviewé par Eva Bester dans la 20e heure

Ca me fait tellement plaisir, à moi qui dis si souvent que mon outil de travail, ce sont les mots, que la psychothérapie consiste - entre autres choses - à écrire un nouveau récit à quatre mains, et qui m'autorise régulièrement à partager une lecture ou une citation, quand elles me semblent pertinentes. Et qui ressens au quotidien combien ma pratique - et ma façon d'être au monde par ailleurs - sont profondément nourries de toutes mes lectures, depuis aussi loin que je peux me souvenir. 

25 octobre 2025

Petit grain

Le vrai charme des gens, c'est le côté où ils perdent un peu les pédales. C'est le côté où ils ne savent plus très bien où ils en sont. Ca ne veut pas dire qu'ils s'écroulent au contraire, c'est des gens qui ne s'écroulent pas mais, si tu ne saisis pas la petite racine ou le petit grain de la folie chez quelqu'un, tu ne peux pas l'aimer.

Gilles Deleuze

23 octobre 2025

Tout simple


 Tout simple, tous les trois, tout doux, anniversaire de Léo, 1er round !


Et 2ème round, quelques jours plus tard...

20 octobre 2025

Enfants de choeur

Ca me traverse, en ce moment, les questions du collectif et du local. A terme, autour de l'engagement associatif, politique, peut-être. Pour le moment, il y a déjà ce petit collectif de la chorale, qui réunit à la fois le bonheur de chanter, le soutien du Pot Commun, et le tissage de liens de voisinage. Le groupe de l'année passée était très chouette, les nouveaux sont vraiment sympa aussi, et on est déjà tellement bien ensemble - et conscients que c'est précieux, une bulle d'oxygène dans nos semaines - qu'on se retrouve même les semaines où il n'y a pas répétition ! Ici, pour faire un karaoké, et l'année dernière, souvent au bar du coin. 

C'est nouveau ce sentiment d'appartenance (je ne me souviens pas l'avoir eu à Paris), croiser des têtes connues au ciné, au théâtre, au marché, à la librairie, à la médiathèque - bien souvent ce sont les mêmes, intérêts communs et valeurs identiques, dans ce petit centre-ville j'ai l'impression d'y être comme chez moi.

Et puis maintenant, il y a l'idée d'un karaoké full Starmania avec les plus fous d'entre eux, et ça c'est du projet !

10 octobre 2025

Jeanne

Concerts du Festival de Marne : super programmation et petites salles, donc places bien meilleures et bien moins chères qu'à Paris : je ne pouvais pas rater Jeanne Cherhal, dont j'ai aimé chaque album. Je n'ai pas été déçue, c'était un concert généreux qui nous a baladés dans toute sa discographie et ses multiples facettes graves ou rieuses, engagées ou coquines. Jeanne est un lutin plein de surprises, qui bondit sur le piano double et s'invente en showgirl façon cabaret, peur de rien, j'adore !

05 octobre 2025

Retrouvailles


L'année prochaine, ça fera 20 ans qu'on se retrouve une fois par an, et qu'on se raconte nos vies, qu'on marche dans nos pas - joies, drames, étapes de vie, petits et grands soucis, projets et rêves. Et des projets, ils n'en manquent pas ! Le dernier en date, Joëlle part faire un trek sur l'Annapurna pour ses 70 ans, voilà, faut pas (toujours) avoir peur de prendre de l'âge, Laurence est un courant d'air, nouvelle vie amoureuse, ateliers de massage, festivals de musique, projets d'habitat partagé, Eric se réinvente en AESH (après chef d'entreprise, faut le faire), je ne sais pas encore ce que fera Isa mais je suis sûre que cela va nous donner des idées, à Céline et à moi.

Cette année j'étais ravie de les accueillir à la maison, de partager des choses très simples - faire le marché, une balade au parc, une après-midi jeux au Pot Commun, un tour au MacVal - pas besoin d'aller loin ou de faire de grandes dépenses, juste être ensemble, ça suffit.

15 septembre 2025

Que des liens (2)

Ce qui a rendu ces moments néanmoins chaleureux, c'est qu'au-delà des silences passés et présents de ceux qui nous précèdent, Cyril, Clara et moi avons un vrai lien. Qui continue d'évoluer et de s'approfondir dans ces conditions pourtant difficiles, et je trouve, pour le meilleur, avec beaucoup d'intelligence et de simplicité. 

C'était un vrai plaisir de passer du temps avec Clara sur ces trois jours, de retrouver Cyril même si nous nous sommes croisés, et de constater que dans des circonstances fréquemment génératrices de tensions dans les familles, nous sommes tous les trois présents - chacun avec ses forces et son contexte propre, et dans le respect des possibilités de chacun.

Nous sommes très différents mais nous avons ceci de commun je crois, une vraie attention à l'autre, une forme d'intelligence relationnelle - et une vraie gentillesse. C'est précieux. J'aime beaucoup le lien des adultes que nous sommes devenus.

Que des liens

Nous n'emporterons rien que l'amour que nous aurons donné, je crois que c'est Bobin qui écrit ça quelque part...

Faire le tour de l'appartement de Papa et Gene ce week-end, avant qu'il ne soit vidé, rénové et loué pour financer leurs places en maison de retraite, c'est une méditation sur l'absurdité de l'accumulation matérielle. Il restera si peu de choses - parce que nous avons nous aussi déjà créé nos maisons à notre image, parce que les objets s'usent, se démodent ou se dévaluent, parce que les goûts diffèrent, parce qu'il est éventuellement plus satisfaisant de donner que de brader. Dans quoi ça tient, une vie ? Quels objets familiers nous parlent de ceux qui ne sont plus là ? En l'occurrence, de ceux qui sont encore là sans plus y être vraiment - ce qui rend tout ceci encore plus étrangement mélancolique je crois.

Les objets autrefois soigneusement choisis, et parfois payés cher s'avèrent globalement impropres à la revente ; et finalement, les plus émouvants n'ont pas ou peu de valeur marchande - des photos, des écrits, quelques secrets - là où il reste un peu de l'être finalement. 

C'est touchant et tellement triste à la fois - car l'un comme l'autre auront été si peu à même de partager ce qui les animait en profondeur. Je ne suis pas sûre de connaître la ravissante jeune femme de ces photos baignées de soleil et de sensualité (mais je sais qu'elle peignait de magnifiques aquarelles et jouait de l'orgue), ni l'homme qui a rédigé ces textes ésotériques ou engagés pour ceux qu'il désignait comme son autre famille (mais je salue sa culture encyclopédique, son goût pour les livres et l'opéra, et son infatigable pugnacité).

Leurs longues solitudes nous privent aussi de la possibilité de ces témoins, là où il y a eu tellement de silences : 

C'est pas toi qui me fais pleurer c'est ceux et celles qui t'ont aimé
Qui me dévoilent des épisodes parfois aux antipodes
De la personne que j'ai connue, du toi que j'ai entraperçu
Qui me partagent des histoires auxquelles j'aimerais tellement croire...
(Zaz, Que des liens)

Qu'avons-nous manqué, qui ne nous sera jamais conté par d'autres voix ?

Au passage la question m'a traversée aussi - et si je disparaissais demain, que trouverait-t-on de moi qui n'appartenait qu'à mes jardins secrets ? 

De Papa j'ai gardé un lourd cendrier de cristal que j'ai toujours vu posé sur son bureau - et autrefois chez mes grands-parents. Quelques "planches" rédigées par lui. Et puis il y a une vraie joie à ce que Cyril et Clara aient accepté que je ramène ses appareils photo à Elsa - justement parce que là il s'agit bien d'une transmission - ce qui n'aura été donné ni par le lien ni par les mots de son grand-père passe ici par l'accès à un matériel que je n'aurais jamais pu lui offrir. J'ai découvert aussi des photos des parents de mes grands-parents, incroyable !

De Gene j'ai gardé - avec l'accord de Clara - un joli manteau aussi chaud qu'enveloppant et une étole - l'élégance, la discrétion, les belles matières, et les "couleurs Gene" comme disait mon père, soit toutes celles de l'automne. Deux objets qui l'évoquent avec beaucoup de douceur.

Des bijoux de notre grand-mère commune, j'hésite encore à garder une bague - peut-être. Pour qu'il reste quelque chose, j'ai presque envie d'écrire, pour qu'il ne reste "pas rien", et tant pis pour sa valeur marchande, ou une éventuelle transformation de bijou - c'est telle quelle qu'elle me la rappelle le mieux.

Non, nous n'emportons pas grand-chose, et je ne suis pas fâchée que mes récents déménagements m'aient d'ores et déjà obligée à tellement m'alléger. Est-ce que ça me donnera la sagesse d'y réfléchir à deux fois avant le tout prochain achat - oui, peut-être un peu plus qu'hier en effet. 

14 septembre 2025

Deuil blanc

C'est ce deuil sans clôture qui est celui des proches toujours en vie mais plus ou moins absents à eux-mêmes, plus ou moins revenus à un état d'enfance.

Ce deuil dont je me protège en restant tellement à distance, quand bien même je suis en visite.

Ces moments suspendus où les mots n'existent plus, où je cherche dans ton regard la possibilité d'être reconnue - peut-être, peut-être pas, comment savoir avec certitude ? Ce sourire fugitif, m'est-il destiné, est-il seulement destiné à quelqu'un ? Derrière ce regard si souvent absent, quelle conscience demeure-t-elle, et si elle demeure, comment peut-elle tolérer cet environnement ?

Cet homme qui fut brillant, cultivé, séduisant, ce petit garçon joufflu, ce père imprévisible et distant, où sont-ils maintenant ? C'est si étrange cette fragilité physique, le fait que tu acceptes mon bras pour te relever et faire quelques pas hésitants, et si déchirant ces mots qui s'éteignent avant même d'avoir franchi tes lèvres.

Ce que tu as aimé, ce qui t'a ému, ce qui t'a fait vibrer, ces trésors perdus dont tu ne nous as pas parlé, comment affronter le fait que nous n'y aurons jamais accès, alors même que tu es encore là ? Et, au-delà de ces précieuses singularités - finalement transitoires, sait-on où se réfugie l'âme dans ces lieux ? 

Oh, bien sûr, les lieux en question sont clairs, modernes et propres, et les aides-soignantes ont l'air très gentilles, mais, mais... dans ce monde de zombies immobiles ou perdus dans la répétition infinie du même geste, ou de mots vides de sens, comment ne pas te souhaiter le moins de conscience possible, une vie de nouveau-né dont la sécurité est assurée et dont les besoins essentiels sont satisfaits ? Une vie de nouveau-né, mais la tendresse en moins... 

Mieux vaut que tu ne penses pas. Mieux vaut ne pas y penser. 

25 août 2025

Echappée