19 mai 2006

Kafka sur le rivage

Mais je peux te dire une chose: les oeuvres qui possèdent une sorte d'imperfection sont celles qui parlent le plus à nos coeurs, précisément parce qu'elles sont imparfaites. Toi, par exemple, tu as aimé Le mineur de Sôseki. Parce que ce roman possède une force d'attraction dont sont dépourvues ses oeuvres parfaites telles que Le pauvre coeur des hommes ou Sanshirô. Tu as rencontré cette oeuvre. Ou plutôt, c'est elle qui t'a rencontré. C'est la même chose pour la Sonate en fa mineur. Ces oeuvres ont le don de parler au coeur comme aucune autre.(...)
- Nous perdons tous sans cesse des choses qui nous sont précieuses, déclare-t-il quand la sonnerie a enfin cessé de retentir. Des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu'on ne pourra pas retrouver. C'est cela aussi, vivre. Mais à l'intérieur de notre esprit - je crois que c'est à l'intérieur de notre esprit -, il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j'imagine. Et il faut que nous fabriquiions un index, avec des cartes de références, pour connaître précisément ce qu'il y a dans nos coeurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l'aérer, changer l'eau des fleurs. En d'autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque.
Haruki Murakami, Kafka sur le rivage