20 décembre 2007

Gratitude

Je ne crois pas grand-chose. Je ne crois même en vérité qu'en une seule chose. Mais cette certitude a coulé partout, a tout imbibé. Pas un fil de l'existence n'est resté sec. Elle tient en deux mots. La vie est sacrée. (...)

L'hommage aux origines. Ainsi commence tout processus d'humanisation. "De mon grand-père Vérus, j'ai reçu la noblesse de caractère et l'équanimité. De mon père, d'après ce qu'on m'en a rapporté et ce que je sais encore de lui, la modestie et le sens viril. De ma mère, la crainte de Dieu et la main ouverte, un style de vie simple. De mon arrière grand-père..." Ainsi devrait s'ouvrir, comme pour Marc-Aurèle, l'empereur et le sage, tout récit d'une vie.

Maxime Gorki, gavroche errant dès l'âge de neuf ans, orphelin et vagabond, dresse lui aussi dans sa biographie les stèles vivantes de sa gratitude : au cuisinier Smoury dont il fut le marmiton sur un bateau et qui lui fit lire ses premiers livres : Gogol et Dumas père. A Kolouchni, un homme hors-la-loi, un bossiaki, c'est-à-dire un va-nu-pieds qui lui ouvrit le coeur. A l'avocat Lanine, un homme généreux, un érudit qui reconnut "le désir féroce de s'instruire" de ce jeune homme blessé d'âme et de corps (une tentative de suicide l'avait estropié). Sur le navire d'immortalité du grand Maxime Gorki voyagent debout dans le vent, en frères de compassion, le cuisinier, le voyou et l'avocat. Leurs noms arrachés à l'oubli composent le premiers vers d'un hymne de gloire : Smoury, Kolouchni et Lanine...


Christiane Singer, N'oublie pas les chevaux écumants du passé