22 décembre 2010

Histoires

21 ans, elle est enceinte pour la 3ème fois, veut garder cette grossesse-là, ce qui a entraîné son exclusion de la famille. Elle occupe clandestinement la chambre du foyer de jeunes travailleurs de son compagnon - au parcours chaotique également, placé à 13 ans, actuellement sous contrat jeune majeur (et donc, en risque de perdre sa place au foyer). Elle a appelé le 115, qui lui demande un certificat de grossesse, mais ne réalise pas que le CHRS ne sera pas la solution, et qu'elle y croisera des détresses bien plus aiguës que la sienne. L'échographie dit, qu'elle peut encore faire marche arrière. Mais montre aussi une petite silhouette déjà assez individualisée...

Comme pour la jeune femme de Question de vie, ce désir de garder la grossesse semble défier la raison. Et comme pour la jeune femme de Question de vie - je suis prête à parier qu'il sera pourtant le plus fort. Rien d'autre à faire que de garder une grande humilité - et d'accompagner au mieux...

63 ans, en couple avec une femme de 15 ans sa cadette, papa d'un petit garçon de 3 ans, et malheureux... c'est que la sexualité déraille - mais après avoir essayé les petites pilules bleues, prescrites par son médecin, après avoir réfléchi à la pertinence d'une démarche individuelle, nous éclairons ce qui me semble une évidence : les troubles de l'intime sont toujours la rencontre de deux histoires singulières, mais aussi un symptôme inscrit dans une dynamique relationnelle...

Ce qui le rend émouvant, c'est sa capacité à s'engager dans la recherche de solutions, à faire, dans son discours, de la place à l'autre, et à son désir à lui de protéger la relation avec la femme et avec l'enfant. Il y a tant d'autres entretiens dans lesquels le seul discours est celui de la plainte narcissique, dans lesquels l'autre n'existe pas...

Elle a 20 ans, elle est arrivée du Mali il n'y a pas si longtemps, elle était hébergée par sa soeur et son beau-frère, parents d'un bébé tout juste arrivé au monde. Logement insalubre, incendie, drame - seuls le bébé et cette jeune femme ont survécu. En France elle n'a qu'un fiancé, qui l'accompagne ce jour. Elle est quasi-mutique, plus ou moins cataleptique.

Lui décrit de façon bouleversante l'enfer qu'il vit au jour le jour, face à une situation dont il n'a pas les clés. Je ne sais pas comment était cette jeune femme avant le drame, mais je présume une fragilité antérieure. Aujourd'hui elle a manifestement décompensé, et il explique qu'il ne la reconnaît plus, qu'elle reste des heures dans le vague, dont elle ne sort que pour des cauchemars éveillés, qu'il l'a parfois fait hospitaliser en urgence - ce qui est un excellent réflexe mais ne change pas la situation en profondeur, d'autant qu'elle arrête les traitements sitôt sortie.

Evidemment hébergés, sans-papiers, sans travail... ce qui le rend invraisemblablement touchant, c'est son obstination à prendre en charge l'intolérable, à espérer des "retrouvailles", au sens où "elle ne se retrouve pas" - dit-il à plusieurs reprises. Lorsque je risque une question sur la famille restée au Mali, il hausse les épaules et dit que là-bas, les "êtres perdus", quand ils ne répondent pas à la médecine traditionnelle, sont abandonnés à leur sort - et que lui ne l'abandonnera pas. J'explique, il faut des soins réguliers, gratuits, faciles d'accès pour qu'ils n'aient pas à se risquer dans les transports en commun, adresse vers la psychiatrie de secteur. Mais je pense qu'ils reviendront...

24 ans, papa d'un petit garçon de 4 ans qui vit en province, et pour lequel il s'inquiète beaucoup depuis l'arrivée d'un beau-père, mais pour lequel il n'arrive pas à mettre en place une organisation de visites. Il a repris des études, il est en foyer, ce qui ne lui permet pas de l'accueillir, n'a guère d'argent, mais surtout, il se sent démuni face à ce petit garçon, et aussi dans une peine si profonde qu'elle entrave son désir néanmoins sincère de rester en contact. Son ancienne compagne travaille activement à l'effacer autant que possible de sa vie et de celle de l'enfant, et son histoire familiale à lui le laisse désemparé - c'est le terme qu'il emploie - face à cette situation. La justice suit son cours - et ce cours est bien lent... En attendant, le Point Rencontre semble une option intéressante, qui leur permettra d'avoir un lieu, des jouets, la médiation d'un professionnel par rapport au couple, une présence tierce par rapport à l'enfant...