23 mars 2011

Journée de (la) femme

Un soir de grande fatigue, portraits de femme esquissés.

Dans quel monde vivons-nous pour trouver forcément anormal que la première réaction d'une adolescente qui se découvre enceinte – avant que les contraintes de la réalité ne la rattrapent – soit la joie ?

Dans quel monde vivons-nous pour qu'une autre soit si seule avec une grossesse devenue hors délai d'IVG qu'elle ne trouve pas d'autre issue que de se faire rouer de coups pour que « l'enfant passe », comme on dit (et de la mort de quel enfant s'agit-il alors) ?

Et celle-ci, qui revient des mois après son avortement, parce qu'elle n'a trouvé personne – ni mère (probablement déprimée), ni père (vraisemblablement alcoolique), ni petit copain (qui la trouve « prise de tête »), ni frères et soeurs (ils sont pourtant quatre, même si elle est la dernière encore à la maison), ni camarades de classe, ni aucun autre adulte que la dame du Planning pour dire qu'elle n'en peut plus ?

Qui sont ces femmes qui arrivent lourdes d'une histoire dans laquelle la sexualité n'a jamais été synonyme d'autre chose que de douleur – au mieux d'indifférence – maltraitées par elles-mêmes car elles se forcent, par leurs compagnons aveugles ou complices, ou vite lassés, par les médecins qui multiplient les examens inutiles et invasifs quand ils ne prescrivent pas des séances de kinésithérapie périnéale – et qui bien souvent, ne sont pas moins hermétiques à une approche psychique tant elles se vivent comme des machines défectueuses, et non comme les êtres complexes, ambivalents et souffrants qu'elle sont ?

Mais il y a aussi...

Cette patiente pourtant gravement atteinte, qui s'est autorisée une toute première expérience sexuelle à la faveur d'un voyage à l'étranger qui était en lui-même un défi pour elle – et qui revient épanouie, émue par ce qu'elle a vécu, indulgente avec elle-même - c'est nouveau aussi - quant à l'angoisse qui l'a envahie si fort à l'issue de cette nuit, qu'elle n'a pas osé demander ses coordonnées à cet homme...

Cette autre entrée en thérapie il y a sept mois après le décès brutal de son frère, et qui s'est autorisée pour la première fois aujourd'hui à l'évoquer, à le pleurer, à nommer quelque chose de la culpabilité et de l'ambivalence à travers cette formule ambiguë : « Il nous a beaucoup laissé(s) ».

Et ces deux autres, petites soeurs de peine de la précédente, engagées sur le même chemin, celui de la levée du secret et du déni qui pèsent sur la violence et la folie familiales – transgénérationnelles dans les trois cas – pour aller à la conquête de leur propre autonomie ? Elles sont belles, intelligentes, dévastées, et incroyablement courageuses, s'affrontant à l'aveuglette à des démons familiaux redoutables.

Et celle-là, qui rit de se « retrouver elle-même » après quelques mois d'absence dépressive – le temps je crois de faire le deuil des idéaux infantiles pour accepter que le monde adulte serait « pas tout, pas rien » - et qu'il recelait cependant de multiples occasions de joie et de créativité...

Ce soir – je ne me sens pas moins vulnérable que toutes ces femmes – particulièrement touchée par ces histoires de vie qui se déploient dans la rencontre, consciente de la confiance qu'elles me font et de ce qui m'amène à occuper cette place mais aussi fragile : qui, même formé, supervisé, outillé, peut traverser ce que je ressens parfois comme un bombardement et prétendre en sortir tout à fait indemne ?