10 mai 2022

Chamanes du langage ou médecine des mots

CE QU’IL Y A DERRIÈRE LE CŒUR 

On m’a parlé
des mots qui sont des pièges.
Le cœur en est un : l’âme vient deuxième.
L’important,
quand on écrit le mot cœur c’est de savoir
ce qu’il y a derrière. 

Pour moi, derrière, il y a trente ans de grands mystères
à propos de l’amour qui vient quand il veut et qui n’obéit
qu’aux flammes de son propre feu
il y a bien sûr ces hivers interminables où tout est gelé
en soi : on confond le passé et l’innocence,
on se persuade qu’enfin, à l’avenir, on saura vivre au chaud
dans les plis du silence. 

Derrière le cœur j’entasse des colères vivaces et des joies débordantes,
je cache des royaumes de fleurs séchées et des empires d’étoiles,
je protège des histoires que j’ai peur d’abîmer
et je me fiche qu’elles soient ou non des histoires vraies.
J’imagine plus que je ne réfléchis :
c’est là ma façon d’être au monde,
de ranger derrière un mot le dictionnaire entier,
de construire des maisons souterraines
et des cabanes perchées,
de faire d'un berceau une tombe
et d’un vieillard un nouveau-né. 

Ce qu’il y a caché tout près du cœur
c’est une peine d’un autre temps,
une mélancolie qui vient d’ailleurs –
une émotion coincée
entre l’ennui et la stupeur.
Alors je fais des barrages d’amour infini, de moments lumineux,
je dévie des vagues immenses sur des rochers de nuit,
le soir quand la lumière est rouge j’appelle en moi
la force des légendes,
des contes et des mirages,
j’accroche à mes oreilles des boucles de cheveux blonds
plus secs que le foin, plus blancs qu’un blanc matin, 
et je chuchote pour qui entend :

derrière le cœur
 il y a ce qui fut brisé et gardé là
pour ne point perdre les morceaux de la beauté.

Cécile Coulon