Tout a été dit, écrit, et pire, montré sur ce qui s'est passé ce soir-là. J'éprouve un profond dégoût pour la façon dont cela a été traité, pour les micros mis sous le nez des survivants, le harcèlement des familles endeuillées, la récupération politicarde avant même la fin des heures de l'urgence. Pour la haine vomie, pour le relais accordé aux paroles nauséabondes par les médias mêmes qui prétendent s'en défendre, pour les détails sordides exhibés et les récits terrifiants et/ou hagiographiques sur des hommes ou des femmes qui auraient peut-être apprécié un peu plus de discrétion ou de retenue, s'ils avaient été encore là pour donner leur avis.
Ce n'est pas ce que j'ai choisi d'en garder, ce n'est pas ce que j'ai souhaité dire à mes enfants. Très vite, je leur ai parlé de ma conviction que si tant d'êtres humains avaient échappé au piège du Bataclan, c'est parce que d'autres avaient gardé leur calme au milieu du chaos, ouvert des voies de secours, pris par la main, rassuré, apaisé de parfaits inconnus, posé des garrots de fortune, soutenu vers les sorties, etc.
Très vite je leur ai parlé de l'incroyable courage des policiers, des soldats, des équipes hospitalières qui ont dressé un hôpital de campagne avant même que la zone soit sécurisée et se sont relayés jour et nuit dans les blocs opératoires.
Très vite je leur ai parlé - et il n'est pas un patient, pas un étudiant qui ne l'ait mentionné - de l'émotion face à l'avalanche de messages de partout dans le monde, pour demander des nouvelles, adresser amour et soutien, accompagner par la prière. Des proches bien sûr, mais aussi des amis lointains, par la distance ou la fréquence - comme une chaîne d'attention et de tendresse tout autour du monde. Du bouton Facebook qui m'a d'abord agacée (cliquer alors que j'étais bien au chaud chez moi m'ayant semblé sur le moment indécent) avant de m'émouvoir : rassurer d'un geste, aller au-devant du besoin des autres de respirer plus tranquillement, même à des milliers de kilomètres de là, c'était simple et utile, juste. Quelqu’un l'a fait pour moi. Ça m'a touchée. J'ai laissé faire.
De la dignité des proches de disparus, de cet époux et père qui se retrouve seul avec un tout-petit et affirme son refus de la haine dans une tribune que tous les étudiants ont lue - et nombre de mes proches aussi, ouvrant une voie vers la lumière : ne pas tomber dans le piège, rester unis, rester humains, refuser la haine pour affirmer la vie. De notre envie de nous réunir, de nous réchauffer, de dire "je t'aime" à ceux qu'on aime. De faire un bras d'honneur et de lever nos verres, mais aussi, de nous engager davantage, d'aller vers plus d'ouverture et de mixité encore.
Bref, ce que j'avais envie de partager à cette date-là, c'est cet extrait de Love Actually : Toutes les fois que je déprime en voyant ce qui se passe dans le monde je pense à la zone d'arrivée des passagers de l'aéroport de Londres. De l'avis général, nous vivons dans un monde de haine et de cupidité. Je ne suis pas d'accord. J'ai plutôt le sentiment que l'amour est présent partout. Il n'y a pas toujours de quoi en écrire un roman, mais il est bien là : père et fils, mère et fille, mari et femme, copains, copines, vieux amis.
Quand les deux avions ont frappé les tours jumelles, à ma connaissance aucun des appels téléphoniques de ces gens qui allaient mourir ne contenait de messages de haine ou de vengeance : c'était tous des messages d'amour. Si vous cherchez bien, j'ai la désagréable impression que vous constaterez qu'en définitive, nous sommes cernés par l'amour.