Posté par David sur le blog de Co-Options. En individuel avec mes patients, en groupe avec les étudiants, dans les échanges avec les collègues, avec les amis, j'ai vécu les mêmes choses, entendu ou prononcé les mêmes phrases. Touchée par le respect des patients, la sobriété des étudiants, sensible cependant aux vagues d'angoisse, de chagrin, de peur, de colère qui ont déferlé sur tout un chacun, aux réminiscences de situations traumatiques et de deuils passés - et par conséquent sur nous, soignants, accompagnants, entretien après entretien, groupe après groupe.
Peut-être c'est cela, qui m'a donné l'envie de partager ce texte - faire toucher du doigt ce que signifie être en situation de recevoir, de rassurer, d'accueillir - et ne mesurer qu'ensuite l'impact sur soi, démêler ce ce qui nous appartient en propre, en tant qu'humain tout aussi vulnérable que les autres, de ce qui a été déposé, déversé, vomi, confié, partagé, des heures et puis des jours durant...
Une semaine après les attentats du 13 novembre 2015
J’ai accompagné sept groupes cette semaine, et j’ai invité les participants à partager leur vécu sur ces événements.
L’authenticité, l’émotion, le choc, la peur, le ras-le-bol, la colère, tout y est passé. Sans jugement sur ce qui venait, j’ai d’abord été touché par l’implication de chacun dans sa parole. Tout le monde a été touché. Chacun pourra ici peut-être s’y retrouver.
Pas de commentaire, juste un partage des mots, dans le désordre comme ils sont venus.
Qu’est-ce que ça me fait ?
« J’avais besoin de m’informer, je suis resté sur BFM jusqu’à 3 heures, j’étais scotché ».
« J’ai de la colère et envie de pleurer en même temps ».
« J’ai appelé, j’avais besoin de savoir, de me rassurer sur mes proches, sur mes collègues ».
« Ca me rappelle le RER en 1995, le train gare de Lyon en 88 » ; « La Côte d’Ivoire », « moi le Liban », « la guerre en France » pour les plus anciens, et « le Togo en 91 où ça tirait à balles réelles ».
« J’imaginais que venir en France me permettrait de ne plus jamais revivre ça. Le bruit, les morts, les balles… ».
« J’ai peur, on n’est pas en sécurité, je ne me vois pas ressortir dans Paris ».
« J’étais heureux de ne pas être à Paris ce week-end là, mais à la fois tous mes amis y étaient ».
« Sortir de chez moi pour travailler, ça m’a fait beaucoup de bien ».
« J’ai 30 ans, et ce que je représente a été attaqué. J’ai le sentiment d’être la proie ».
« Ça me fatigue, même quand on essaye de se couper, on ne peut pas ».
« Charlie pouvait cliver, ceux qui sont Charlie d’un côté et les autres ; là, ça pouvait être tout un chacun ».
« Je me sens fatigué, affaibli ».
« Ça me rassure d’avoir vu des gens dehors après les attentats, dans la rue, au stade en Angleterre, c’est possible ».
« Je suis sensible aux bruits, au bruit des sirènes ».
« CA va passer mais je me sens vigilante, je n’ai pas les mêmes filtres que d’habitude ».
« Je ne peux pas parler, ma sœur est inquiète, il faut la rassurer, et ma mère en rajoute ».
« Je vais arrêter de porter le voile, il y a trop de mauvais regards sur moi ».
Heureusement …
« J’ai passé le week-end en famille, j’avais mes trois enfants avec moi ».
« J’ai reçu des appels de ma famille, des amis ».
« Je ne suis pas touché directement mais des amis à moi le sont. Je leur ai proposé de venir à la maison ».
« J’ai mis une bougie, j’ai osé ressortir »
« Je devais y être » ; « ça pourrait être moi, c’est mon lieu de sortie, de vie… ». « C’est égoïste, mais j’ai de la chance ».
Qu’est-ce que j’en pense ?
« Va où tu veux, meurs où tu dois ».
« Il faut penser aux autres pays ; tous les jours des attentats, relativiser ».
« Qu’est-ce qu’on peut faire ? Il n’y a pas de solution, peut-être avancer différemment, et non ne plus vivre »
« Faire avec le fait de faire sans, sans le sentiment de sécurité ».
« On ne peut pas faire du mal comme ça, gratuitement ».
« D’habitude, la peur ne fait que peur ; mais là il y a un vrai risque ».
« Avant les familles tenaient les générations ; maintenant les parents n’ont prise sur rien du tout ».
« Je n’avais pas compris que ça allait si mal ».
« C’est arrivé au Petit Cambodge ; je vais être mon Petit Thérapeute ».
« Je n’ai pas aidé cette mère qui s’est effondrée, je ne l’ai pas bien écoutée, j’étais moi-même sous le choc ; mais je pourrai revenir la voir et lui parler un autre jour ».
Que faire de mieux ?
Mettre un avertissement « interdit -12 ans » sur l’écran de la télé, ne serait-ce que pour indiquer aux parents de protéger les enfants des images répétées, non-filtrées.
Etre attentif aux plus fragilisés, car les défenses psychiques sont sensibilisées. Mettre un peu de douceur dans les relations à la maison comme dans la rue, dans le métro.
Revenir à son sourire, aux petits mots gentils avec son voisin, sa voisine. Remettre du lien social, gratuit.
Ne pas me culpabiliser ni avoir honte de regarder de travers certaines personnes, pendant un temps peut-être, tant la vigilance est exacerbée.
Etre attentif aux personnes ayant coupé les liens avec leurs parents, leurs frères et sœurs, ceux qui se retrouvent isolés de leur système familial, premier environnement social et régulateur.
Expliquer des termes méconnus dans leur sens spirituel et souvent mal utilisés dans les médias, notamment le chemin personnel que représente « faire son djihad ». Revenir également au Coran qui n’utilise jamais le mot de martyr.
Qu’un terroriste potentiel souhaite vraiment faire son djihad, et comprenne qu’il s’agit là de combattre son désir de mort, sa haine, sa violence, sa colère, ses désaccords : combattre en somme son terrorisme intérieur.
Que les institutions, les entreprises, les familles, prennent le temps d’accompagner la violence générée par leur système et à tout niveau.
Prendre le temps de parler après. Et quand on peut, prendre le temps de faire parler.
Prendre le temps de comprendre, par exemple « comment ça commence pour être terroriste ? ».
Etre pris dans la télé et son déluge, mais aussi dire stop à un moment, quand c’est trop et même avant ; choisir quand aller rechercher l’information, choisir la taille de son écran aussi, de la télé à la tablette pour diminuer l’impact de l’image.
Questionner l’autorité à poser en tant que parent ; prendre aussi le temps d’expliquer, d’écouter.
Remercier Facebook pour avoir lancé une alerte permettant de savoir qui était en sécurité parmi « mes amis » parisiens.
Comprendre qu’un échec ou qu’un drame est une étape, que demain existe, et après-demain aussi.
Prendre le temps de lire, de mettre à distance, de s’informer et de penser autrement.
Les attentats rappellent des souvenirs passés. Voir en quoi il y a des similitudes entre deux événements, mais ne pas en rester là en montrant qu’il y a aussi et toujours des différences.
Les témoignages sont ancrés dans le réel, des faits, du vu ou du entendu. Rapidement, l’émotion est aussi présente. Proposer d’allumer une bougie, prier, méditer, envoyer de l’amour peut permettre de changer de niveau d’ordre et de passer par le symbolique ou par un rituel de soin.
Et vous, comment ça va ?