"Mais alors, il n'y a personne pour aider. Personne pour aider ceux qui ne sont qu'un tout petit peu perplexes, effrayés et intimidés ; ceux qui commencent seulement à interpréter les choses autrement qu'on ne les entend ; ceux qui habitent encore complètement dans le même monde, sauf qu'ils marchent un peu de guingois et pensent parfois pour cette raison que les choses sont suspendues au-dessus de leur tête ; ceux qui ne se sentent pas chez eux dans les villes et qui s'y perdent comme dans une forêt maléfique sans fin - ; tous ceux à qui chaque jour apporte son lot de souffrance, tous ceux qui n'entendent pas fonctionner leur volonté dans le vacarme ambiant, tous ceux que l'angoisse a submergés - pourquoi n'y a-t-il personne dans les grandes villes pour leur venir en aide ? (...)
Est-ce encore des phrases qu'ils prononcent ; ou bien sort-il déjà d'eux, pêle-mêle, comme d'un théâtre en flammes, tout ce qui en eux fut spectateur et acteur, auditeur et héros ? Personne ne songe-t-il qu'il y a en leur sein une enfance en train de se perdre, une force qui se détraque et un amour qui s'effondre ?"
Rainer Maria Rilke, Lettres à Lou Andreas Salomé