S. est une jeune maghrébine de 18 ans, verbe haut et débit saccadé, bijoux clinquants, maquillée comme une voiture volée - et le rimmel coule, parce qu'elle vient d'apprendre qu'elle est enceinte. Que s'est-il passé ? Elle a arrêté sa pilule... plus ou moins au moment où elle a commencé à avoir des rapports sexuels avec son nouvel amoureux, mais dans la plus parfaite inconscience... ou bien ?
Entre deux appels sur son portable, elle déballe sa vie comme on vide son sac - une vie de conflits et de violence, allers-retours foyer - famille, agressions, amours douloureuses - et puis elle se pose enfin, et arrive ceci : "Je vais devoir avorter, et ma grande soeur ma mère l'a perdue à la naissance" - mais sa phrase n'est pas si claire, au point que je lui demande de préciser, si cette soeur est décédée au moment de sa naissance à elle, ou bien s'il s'agissait d'un bébé mort-né, ce qui s'avère être le cas.
Elle s'est donc trouvée en position d'aînée de substitution, d'enfant de remplacement, d'elle-même elle parle de "bébé-fétiche" à propos de la place qui lui a été assignée. Et je me demande à part moi, ce bébé qui ne naîtra pas, de qui s'agit-il ? D'elle-même définitivement coupable de n'être (naître ?) pas le bébé perdu, ni l'aînée parfaite, de ce fantôme qu'il s'agirait de faire disparaître enfin une bonne fois pour toutes, ou d'une conjuration du mauvais sort - si ce bébé-là disparaît, peut-être l'accès à la maternité, le moment venu, pourra-t-il se faire sans effroi excessif - parce que le tribut à l'histoire maternelle aura été payé ?