28 mars 2006

Dette de vie

« En donnant la vie biologique, les parents se sont engagés à délivrer à l’enfant suffisamment de sollicitude, de limitations et d’interdits pour qu’il s’humanise. Ensuite, ils lui transmettront les savoir-faire nécessaire pour trouver sa place dans l’échange social. Ils lui auront ainsi permis de se différencier et de se séparer d’eux. (…)

Pour le sujet, le sentiment intime que ce qui devait lui être acquitté l’a bel et bien été (et que ce qui ne l’a pas été ne le sera plus) signe l’accès à l’âge adulte et témoigne de la capacité à s’engager à son tour dans une procréation responsable. Car il a alors contracté une dette de vie qui l’engagera à soutenir le grandissement de ses enfants à venir. (…)

Lorsqu’il arrive à l’adolescence, l’enfant a disposé de ses parents (géniteurs ou non) qui se sont acquittés de ce qu’ils lui devaient : le dû de la sollicitude maternelle et paternelle premières ; le dû d’un père, que lui a fait sa mère ; le dû des interdits de privautés incestueuses réelles ; et enfin le dû de la liberté, avec les moyens de la vivre. (…)

Le plus fécond des dons venant des parents, c’est celui de leur manque, de leur impossibilité et de leur refus de tout donner. (…) Ce manque, c’est la condition humaine et c’est aussi la source du désir chez chacun. C’est ainsi que les parents auront pu signifier à leur enfant qu’ils croyaient en lui et qu’il aura pu croire en lui-même. Voilà comment finit par se constituer ce sujet définitivement inachevé, suffisamment riche et assez endetté pour devenir parent à son tour et partenaire d’échanges sociaux. »

Pierre Kammerer, Adolescents dans la violence