Kadiatou, c'est la femme du post "Misères". Kadiatou, c'est un stéréotype - une africaine énigmatique au sourire lumineux, sans papiers, sans ressources, sans famille ici autre que l'enfant qu'elle porte ; et une exception - parce qu'elle a fait des études là-bas au Mali, et qu'elle dit, ce que ses compatriotes ne peuvent ou ne veulent dire.
Que si elle avait su que ce serait si dur ici en France, elle ne serait jamais partie. Que repartir est impensable, parce que ceux qui reviennent sont considérés comme des incapables qui n'ont pas su profiter d'une chance unique (pour laquelle certains risquent leur vie dans les filières clandestines), et auxquels par conséquent personne ne tendra la main. "Ils sont maudits", dit-elle simplement.
Qu'avoir un enfant parti en France est un motif de fierté et de jalousies dans les villages, et qu'elle est tenue de rester et de réussir - d'envoyer de l'argent alors qu'elle n'a elle-même nulle part où aller.
Que cet enfant à venir, sans père pour le reconnaître, elle l'a gardé parce qu'elle a l'âge d'avoir un premier enfant ; parce qu'elle ne conçoit (!) pas de ne pas devenir mère, c'est-à-dire celle qui sera plus tard reconnue et honorée par ce fils ou cette fille ; parce qu'elle espère que la loi française, qui la protège partiellement pendant le temps de sa grossesse, lui permettra peut-être de rester sur ce territoire où naîtra son enfant.
Tout au long de l'entretien, court cette question de la reconnaissance - celle de l'enfant qu'elle porte, celle de l'enfant qu'elle a été, celle de sa famille et celle de la société dans laquelle elle vit - reconnaissance dans la double acception de, ce qui a à voir avec la dette et la gratitude, ce qui a à voir avec l'identité et la place.